Billet de la rédaction

Ouf ! Aujourd’hui, 7 mai 2017, la politique est incontournable. Ce billet, au soir du résultat de l’élection, ne peut bien sûr l’ignorer. Le pays vient de trancher et respire déjà mieux. Apparemment un choix forcé. Pas d’hésitation pour beaucoup, mais pas pour tous. Un autre choix forcé l’a précédé, un premier, au tour d’avant, centré sur la logique du temps de choisir, avant le temps d’éliminer. En mettant cette année l’accent sur « croyance, certitude, conviction », le séminaire Champ lacanien est bien dans l’air du temps.

En bonne place dans ce Mensuel, la réélaboration du cogito cartésien par Lacan pourrait peut-être nous éclairer sur ces choix, ou nous assurer qu’ils étaient bien forcés. Ou mlp, ou em. Par ce petit jeu d’écriture, le choix du second tour devient presque indéchiffrable. Formulé ainsi, son énoncé n’est plus qu’une juxtaposition dans le langage, une opération du signifiant, sans plus. Des petites lettres, dont ce numéro du Mensuel nous fait sentir le poids en dehors de la vie politique, dans ce que Lacan doit à Descartes.

La dette symbolique de Lacan et de la psychanalyse envers Descartes et « son » sujet de la science est d’abord esquissée dans un texte de Denis Kambouchner, invité au séminaire Champ lacanien. On peut lire ce texte à l’envers. Il révèle peut-être plus encore ce que Descartes, lu par les analystes et les philosophes d’aujourd’hui, doit à Lacan : si on en doutait, la certitude de Descartes n’est pas celle de la psychose. Descartes n’est pas Rousseau, le Rédempteur solitaire, avec ses grandes majuscules, mais l’homme des petites lettres, sans intelligence prophétique, qui lâche l’affaire sur Dieu. Il n’a rien à voir avec un psychotique qui ne cesserait de considérer un morceau de cire, sûr et certain qu’il ne peut s’agir seulement de cela, qui n’y croit pas parce que, c’est certain, ça doit être autre chose, qui le concerne.

Denis Kambouchner suit dans Descartes les marques d’un doute tout en contraste, bien accroché au joint le plus intime du sentiment de la vie : tendu mais assuré dans sa démarche, dramatisé mais exigeant dans ses relances, personnel mais ancré dans de solides traditions anciennes. Un bon symptôme, avec ses deux temps ? La conclusion s’impose : la certitude cartésienne c’est la « netteté », dit Kambouchner, donc pas la rigueur féroce. Exit la psychose.

Et puis, disons-le, les philosophes – s’ils existent bien sûr ! – ne sont pas tous psychotiques. Vous pensez bien, je pense moi aussi que penser est un symptôme de névrosé, qui cisaille à l’occasion et pousse parfois à demander. Et même à demander une analyse. Lacan, lui, le surréaliste, le docteur d’Aimée, il pouvait bien, pour qu’on comprenne un peu moins, se permettre de comparer l’analyse à une paranoïa dirigée.

Un entretien de Frédéric Pellion avec Anne Théveniaud fait le point sur « ce que Lacan doit à Descartes ». La psychanalyse lui doit son sujet. Effet du signifiant qui le divise, le sujet de l’inconscient se situe à la place du sujet cartésien. C’est le même, mais remanié, ramené à son évanouissement. La version d’en dessous, avec son objet a qui s’échappe. Qu’on relise la quatrième leçon du séminaire Les Quatre Concepts. Les formules de Lacan sur cette subversion sont saisissantes.

L’entretien précise et élargit la perspective sur les nombreux points cruciaux où Lacan rencontre Descartes : le dialogue de Lacan avec la philosophie, la distinction des sujets de l’énonciation et de l’énoncé, l’éviction du fondement de la vérité, les petites lettres, le « donc » du cogito élégamment ramené au ça, le cogito identifié au désir ou au fantasme de Descartes, etc. Ces grandes lignes dans le retour de Lacan à la construction du sujet sont ici ébauchées, nous invitant à approfondir avec le livre de Frédéric Pellion.

Dans les pas de cette construction, le Mensuel place la jeunesse. Celle qui, à la fin des années 1980 par exemple, à l’âge de lire Descartes, un pin’s en forme de main placé sur le cœur, hurlait dans les manifs : « La jeunesse emmerde le Front national ! Et f comme fascistes et n comme nazis ! » Ce beau moment de la jeunesse, si peu indifférente, cache, défie et fait consister l’appel au conformisme. Peut-on dire qu’aujourd’hui la jeunesse s’emmerde ? Si on en croit les sondages sur le vote des jeunes, la jeunesse vote aussi Front national. L’espoir en la jeunesse reste pourtant de mise, éternel, parce qu’il est de structure. C’est l’un des carrefours entre les quatre textes issus du séminaire collectif de Rennes « Lacan et la jeunesse » (Véronique Maufaugerat et Rosa Guitart-Pont) et de la Journée à Rennes du 25 mars 2017, « Le moment dit de la jeunesse » (Ludivine Beillard-Robert et David Bernard).

La jeunesse y est évoquée par l’adresse de Lacan à la jeunesse de Vincennes après 68 et par l’espoir placé en elle. Une adresse, pour dire que le discours du maître, avec ses variantes dans le discours révolutionnaire et le discours capitaliste, est une impasse durable, mais… une impasse quand même. Le climat d’effervescence et de malentendu, lors des passages de Lacan à Vincennes dont témoignent « L’Impromptu » et le séminaire L’Envers, en atteste.

Question, dans le style de l’époque : « Lacan, la psychanalyse est-elle révolutionnaire ? » Réponse, analytique, de Lacan : « C’est une bonne question. » Donc un espoir, car la jeunesse est l’âge des questions, de la confrontation directe, forcément singulière, avec la castration et son manque. Sur les rapports impossibles de l’homme et de la femme, « y a pas d’appli » s’amuse David Bernard. L’habillage du manque – si important à cet âge, et pas seulement chez les victimes de la mode –, la contestation révolutionnaire des alters, l’isolement en groupe dans les smartphones masqué par les réseaux sociaux ramènent au même espoir. L’espoir, avec l’offre analytique, d’une identification au savoir de l’inconscient, à Autre chose, avec ses suites.

Me revient la phrase de la rebelle Leïa, implorant le vieil Obi-Wan dans Star Wars, en version analytique : au secours Dr Lacan, vous êtes notre seul espoir ! Et pour ce qui est des suites, quand on sait le temps que dure une analyse, Rosa Guitart-Pont nous offre une pépite de Picasso : « Il faut longtemps pour devenir jeune. » Ce serait donc ça la promesse d’une analyse ? La jeunesse ? Défendre la psychanalyse avec ce ticket d’entrée lèverait peut-être quelques obstacles…

Un texte de Claire Garson sur John Cage conclut. Ignorant tout des créations et des performances de John Cage, qui avait paraît-il le secret du silence, j’ai suivi ce qu’il recommande : « Commencer à partir de zéro. » Regardez sur Youtube John Cage’s 4’33. Sur une scène, devant un piano, sans une note, le silence est réinventé en 4 minutes 33, puis fracassé par les applaudissements.

À vous de lire !

Adrien Klajnman

Pdf du Mensuel

Sommaire

Séminaire Champ lacanien à Paris
« Croyance, certitude, conviction »

Lacan avec Descartes

Séminaire collectif à Rennes, EPFCL, pôle Ouest
« Lacan et la jeunesse »

Journée à Rennes, 25 mars 2017, EPFCL, pôle Ouest
« Le moment dit de la jeunesse »

Psychanalyse et musique

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