Mensuel 073 Novembre 2012

Billet de la rédaction

Expérience du réveil

Ce numéro 73 du Mensuel est comme bon nombre des numéros précédents consultable sur le site de l’EPFCL. Est-ce une façon, à minima, de « rejoindre la subjectivité de son époque », comme le revendiquait Jacques Lacan pour les psychanalystes ?

En un sens oui, car la technologie habite notre vie quotidienne jusque dans son intimité. Mais dans le cas du Mensuel, disons qu’au mieux elle facilite la communication de connaissances, car, comme le dit Pascal Quignard, « le savoir est déposé morceau par morceau dans les disques durs des ordinateurs. Ces fragments sont aisément accessibles et communicables mais ils ne se court-circuitent pas plus les uns les autres qu’ils ne s’assemblent dans une migration désirante et ne poursuivent, au sein de leur être particulier, la quête errante elle-même (1) ».

Les coordonnées subjectives du XXIe siècle sont marquées par le discours capitaliste qui nous pousse à jouir avec les objets de la science. Les textes de ce numéro interrogent chacun à sa façon la question de la jouissance dans son lien aux symptômes contemporains et dans la clinique. La pratique analytique s’appuie sur une interprétation du réel pour orienter le travail et préserver la singularité désirante du sujet. Une interprétation qui se veut hors-sens, à « l’envers de l’imaginaire  » et que Lacan resserre dans le séminaire R.S.I. comme « effet de sens » lié au réel. L’exemple est l’interprétation par l’équivoque « faite pour produire des vagues ».

Des vagues qui réveillent les endormis, dans des moments furtifs, comme une béance dans la trame des signifiants. La psychanalyse est une expérience du réveil.

David Bernard dénonce les pouvoirs de la parole sur le versant de « l’intention de discours » dans le discours capitaliste. Ses objets,véritables plus-de-jouir en toc, ne sauraient être objets cause du désir. Une vie de jouissance (de la perte) opérée par les objets capitalistes, Jacques Adam répond par les tribulations d’un héros de Queneau, un « athée bénin » qui a perdu le goût du savoir absolu et qui est impossible à satisfaire. Un « athée banal » optant pour une vie sans éclat et sans soucis, comme idéal de jouissance.

Éliane Pamart nous convoque aux jeux des semblants, côté femme et côté homme, dans la jouissance sexuelle, tandis que Céline Martinez déplie dans son texte le « rêve de l’injection faite à Irma », comme la réponse de Freud à l’horreur de savoir (la jouissance féminine), via le réel de la lettre.

Marie-Thérèse Gournel et Bruno Geneste parlent respectivement de Nelly Arcan et de Samuel Beckett, et de leur pratique particulière de la lettre. Pour Nelly Arcan, l’écriture a échoué à la décompléter du regard omnivoyant. Son écriture s’est resserrée jusqu’à devenir un dépôt de jouissance dévastateur pour le corps, ramené à l’être de déchet. Pour Samuel Beckett, l’écriture l’a séparé du surmoi féroce et a restauré le noeud borroméen selon « un autre mode du parlant dans le langage ».

David Bernard nous parle du thème de son livre Lacan et la honte, De la honte à l’hontologie dans un entretien avec Marie-Josée Latour.

Claude Léger conclut ce numéro avec ses « Petits riens », très attendus.

Claire Duguet

(1). P. Quignard, Abîmes, Paris, Grasset, 2002, p. 227.

Sommaire

Billet de la rédaction : Expérience du réveil

Séminaire Champ lacanien 2011-2012 : Les principes du pouvoir

David Bernard, La-vie-facile
Jacques Adam, Le dimanche de la vie

Clinique de la féminité
Éliane Pamart, La féminité de Freud à Lacan
Céline Martinez, Le pas de rêve

Lectures
Marie-Thérèse Gournel, Nelly Arcan : son corps et son écriture
Bruno Geneste, Samuel Beckett, arpenteur de l’ek-sistence

Entretien
Avec David Bernard, De quoi la honte nous fait-elle signe ?

Chronique
Claude Léger, Petits riens