Mensuel 055 Novembre 2010

Le billet de la rédaction

« Celui qui silence »

Ainsi le nommait Alfred Jarry. À Saint-Michel, A. Caillet, ordonnance du lieutenant Morin, s’est jeté par la fenêtre sans dire pourquoi. Blessures graves.

Par haine d’amour, Alice Gallois, de Vaujours, a vitriolé son beau-frère et, par maladresse, un promeneur. Elle a déjà 14 ans.

Explosion de gaz chez Le Bordelais Larrieu. Il fut blessé. Les cheveux de sa belle-mère flambèrent. Le plafond creva.

Vous l’aurez reconnu sans doute, il s’agit de Félix Fénéon, qui, de 1905 à 1906, écrivit ses Nouvelles en trois lignes (1), qui parurent dans le journal Le Matin.

Lacan y fait référence au début de son séminaire Les Formations de l’inconscient (2) (1957-1958) citant de larges extraits. Il a commencé par traiter du mot d’esprit, reprenant l’ouvrage de Freud. Il explicite et développe les termes de métaphore et de métonymie pour affirmer que la métonymie est « la structure fondamentale » sans laquelle il n’y aurait pas de création métaphorique (3).

Par son statut de chaîne signifiante, la métonymie opère « un glissement du sens », une dérivation. Lacan, pour le démontrer, va d’abord se servir du roman Bel-Ami de Guy de Maupassant, disant que l’on ne peut cerner la réalité qu’en se tenant sur cette chaîne du discours dans une instabilité perpétuelle. Du fait même de ce glissement, la tentative d’aborder la réalité, d’en rendre compte, rate son coup.

Mais avec l’exemple de Félix Fénéon et son écriture minimaliste (peu de mots), il est possible de « connoter le réel, de le suivre, d’être annaliste », dit Lacan. Ce n’est ni pas ni peu de sens, mais un déséquilibre du sens qui le fait exploser comme un éclat de rire.

Ce décentrement et ce détachement sans jugement aucun court-circuitent la figure obscène du surmoi, thème du séminaire Champ lacanien de l’année dernière et dont vous pourrez lire six interventions. Suivra un texte d’Edith Buxbaum, « Le rôle d’une seconde langue dans la formation du moi et du surmoi » (document datant de 1949). Petits riens clôture ce cinquante- cinquième numéro.

J. M.

(1). F. Fénéon, Nouvelles en trois lignes, éd. Cent Pages Cosaques, 2009.
(2). J. Lacan, Les Formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, p. 78-79.
(3). Ibid., p. 75.

Sommaire

– Billet de la rédaction : « Celui qui silence »

Séminaire Champ lacanien 2009-2010, suite et fin Actualité du surmoi
– Martine Menès : Il est interdit d’interdire ?
– Stéphane Habib : Surmo(sa)ïque
– Carlos Guevara : Travailler plus pour gagner plus !
– Claude Léger : « Je te vois ! »
– Lydie Grandet : Surmoi et féminin
– Agnès Metton : Figures surmoïques dans la psychose

Document
– Edith Buxbaum : Le rôle d’une seconde langue dans la formation du moi et du surmoi

Chronique
– Claude LégerPetits riens