Mensuel 046 Novembre 2009

Introduction

Par Nicolas Bendrihen

« Une traversée de la croyance », tel pourrait être le parcours d’une cure analytique, comme le pointe Albert Nguyên dans ce cinquième prélude aux journées de l’EPFCL sur « Psychanalyse et religion ». En effet, pas de début de cure sans la croyance en l’analyste sujet supposé savoir, et sans doute pas de fin sans traversée de cette croyance et la chute de cette figure de l’Autre qui a si longtemps incarné ce savoir supposé.

Il est heureux que ce point résonne avec les trois textes du séminaire École sur « L’acte analytique, le contrôle et la formation du psychanalyste ». La fin de la croyance en l’Autre est en effet la seule à ouvrir sur la possibilité de l’acte analytique (« l’acte, d’introduire la dimension de la certitude, qui contredit la croyance », écrit Albert Nguyên). Si cet acte se vérifie à ses effets, il n’en dispense pas moins du contrôle après coup. De là, autant de visages du contrôle que de discours (Colette Soler nous en dessine quatre), autant de demandes à saisir dans leurs liens au désir (Anne Lopez). Nous lirons même le style tout particulier d’un contrôle nommé dialyse par Gennie Lemoine, grâce au témoignage que nous en livre Claire Harmand.

Il y a plus dans ces trois textes. Dans le moment de passage à l’analyste, où la croyance au sujet supposé savoir s’évanouit, Anne Lopez évoque le temps de va-et-vient entre S(A) et le fantasme entraperçu : cette « zone obscure » qui serait notre zone de recherche – recherche rigoureuse, logique, de l’émergence du désir de l’analyste. Claire Harmand évoque les contrôles avant et après la passe et insiste sur la faille du sujet supposé savoir que le moment de passe a dévoilée et que le contrôle ne doit pas boucher, permettant à l’analyste de se caler sur une position de subjectivité seconde. Colette Soler rend alors vive l’exclusion réciproque entre le calcul de la stratégie et l’acte, et ouvre sur les contrôles de fin d’analyse et sur ce que serait un contrôle qui aurait valeur analytique.

L’hypothèse dieu est de structure, note Colette Soler dans son introduction au thème des journées, dieu à la fois Autre et Urverdrängt (refoulé originaire). Quel est son destin à la fin de la cure analytique ? La traversée de la croyance pourrait produire, dans la cure menée à son terme, un « athée viable », comme le rappelle Albert Nguyên dans son prélude, soit un sujet athée qui peut vivre sans cette croyance en l’Autre. Est-ce « pousser l’expérience au point où de cet inconscient le réel puisse saillir », soit la face « refoulement originaire » de l’hypothèse dieu ?

L’auteur évoque également, dans la « traversée de la mort », le statut d’un sujet « athée non viable » : celui qui, survivant de l’expérience extrême des camps, après la « mise hors jeu de Dieu » et l’attaque systématique et ravageante de la croyance, de la confiance, du statut même de l’humain et de la langue, a été propulsé dans le sans recours absolu, avec pour tâche impossible de continuer à vivre. À ce titre, la lecture de Jorge Semprun, d’Imre Kertész, de Jean Améry nous enseigne.

C’est aussi sur ce fil, celui de « se tenir à la hauteur du précaire d’une existence », que Marie-José Latour, dans la rubrique « Lectures », nous transmet ses rencontres avec écrivains, artistes et même personnages de films tous au pied du mur de « la tâche de vivre », et du suicide à la « beauté scandaleuse ».

Quatre textes issus de cartels sont construits autour de la question de la féminité. Thérèse Thévenard évoque les étapes et les arrêts éventuels dans le devenir femme, reprenant Dora et la jeune homosexuelle. Nadine Naïtali explicite via les mystiques la proposition de Lacan d’interpréter la face de l’Autre, la face Dieu, comme supportée par la jouissance féminine – son article borde ce S(A) que dans Encore Lacan désigne comme jouissance féminine. C’est de l’écart, et même de l’écartèlement d’une femme entre cette jouissance Autre et la jouissance phallique que Marie-Françoise Haas situe avec Lacan la spécificité de la jalousie féminine. Elle nous fait partager sa lecture de L’Occupation, d’Annie Ernaux, récit autobiographique d’une étrange folie. Enfin, Claude Mozzone réinterroge le primat du phallus. Non sans humour, elle demande : « Qu’est-ce que cet inconscient qui exclut la moitié du ciel au titre de son sexe ? », et nous emmène jusqu’à la tribu du léopard, où les vieilles femmes rient au fond des cases.

Dans le cadre de la rubrique RIP, Réseau institution et psychanalyse, Lina Velez construit sa réflexion autour de la clinique différentielle entre névrose et psychose, et souligne l’importance de cette distinction dans la rencontre clinique, « en tant que préliminaire à la réponse institutionnelle au transfert ». Elle interroge aussi la fonction d’un « directeur clinique », garant d’un vide central dans l’institution, un « Autre qui ne sait pas tout » – qui aurait peut-être éprouvé la traversée de la croyance, et ne l’oublierait pas ?

Enfin Claude Léger, dans les nouvelles de l’« immonde », continue son harassant travail de décryptage critique des nouveautés de la recherche scientifique… Il nous emmène ce mois-ci dans l’hippocampe à l’aire CA1 suractivée, aux portes de la psychiatrie prédictive, voire préventive. Incroyable !

Bonne lecture à tous.

Sommaire

Nicolas Bendrihen : Introduction

Séminaire École 2008-2009 L’acte analytique, le contrôle et la formation de l’analyste
Anne Lopez : Transmission et conditions de l’acte
Claire Harmand : Subjectivité seconde et transfert dans le contrôle
Colette Soler : Le contrôle, quel discours ?

Journées nationales de l’EPFCL-France de décembre 2009 « Psychanalyse et religion »
Textes d’introduction

Colette Soler : Présentation du thème
Prélude 5. Albert Nguyên : L’en-soi de la croyance et ses enjeux

Travaux des cartels
Thérèse Thévenard : Qu’est-ce que devenir femme ? Étapes et arrêts éventuels dans ce devenir
Nadine Naïtali : La jouissance supplémentaire et « la face Dieu »
Marie-Françoise Haas : La folie de l’amour : spécificité de la jalousie féminine
Claude Mozzone : « Un coup monté par le phallus »

RIP : Réseau institution et psychanalyse
Lina Velez : Psychanalyse et institution : questions et réflexions autour de la pratique clinique en institution 

Chroniques
Lecture
Marie-José Latour : La tâche de vivre

Des nouvelles de l’« immonde » n° 24
Claude Léger : De la susceptibilité