Mensuel 092 – Décembre 2014

Billet de la rédaction

Des signes de ponctuation…

« Septembre 1905. Des cris résonnent dans les rues de Moscou : “Payez-nous les virgules !” Les compositeurs en grève de l’imprimerie Sytine exigent l’intégration des signes de ponctuation dans le calcul du salaire aux pièces. La première révolution russe commençait, placée sous le signe… de la ponctuation. Un siècle a passé. Ces caractères typographiques ne provoquent plus les révolutions, mais toujours des tempêtes sous les crânes des “écrivants1”. » Quelques questions aussi dans la tête des membres du comité éditorial que nous sommes au Mensuel. Lire les textes proposés, choisir ceux qui seront publiés, corriger les fautes d’orthographe ou lexicales, revoir parfois des formulations : tout cela est passionnant. Mais une interrogation demeure : celle de la ponctuation, qui s’avère relever davantage du style de l’auteur, de sa « petite musique personnelle » que d’une logique syntaxique de la langue. Dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Nicolas Beauzée voit dans la ponctuation « une métaphysique très subtile » : « C’est l’art d’indiquer dans l’écriture, par les signes reçus, la proportion des pauses que l’on doit faire en parlant. » Un lien est donc fait entre ponctuation du texte et parole.

Lacan s’est intéressé à la ponctuation « de l’époque où l’on avait encore une typographie ». C’est notamment pour évoquer le colophon : petite main imprimée dans la marge des textes anciens pour pointer, indiquer soit des références, soit des associations en lien avec l’écrit. C’est à propos du texte du rêve, à la suite de Freud, que Lacan va indiquer qu’il s’agit de tenir compte « du colophon du doute qui fait partie du texte du rêve2 ». Ce signe pointé sur un mot, une image, un changement de ton ou de cadence du texte rapporté à l’analyste renvoie à autre chose que l’analysant aura à dévoiler. Mais, pour cela, il y faut l’intervention du colophon, analyste, qui par son interprétation (verbale, silencieuse ou énigmatique) va montrer du doigt une possible rencontre avec un nouveau savoir.

L’analyste n’est-il pas celui qui, dans le texte de l’analysant, peut permettre au sujet devenu écrivant du texte de sa vie d’introduire une nouvelle ponctuation (points d’interrogation, virgules d’une nouvelle possibilité de respiration, points de suspension ouvrant à un autre souffle, point d’interrogation devant l’indicible d’une éventuelle rencontre avec un réel insymbolisable qu’il aura à cerner entre parenthèses…) ? Cette autre ponctuation sera possible grâce aux différentes formes que prendront les interprétations de l’analyste mais aussi par le biais de la scansion des séances où le texte est comme suspendu, grâce au colophon qui fera arrêt sur un mot, arrêt sur image…

Cette ponctuation de l’analyste intervenant dans le texte de l’analysant est aussi signe de son style, de sa différence absolue. Pas de règles de ponctuation, donc, mais bien un « Art de la ponctuation ».

Françoise Lespinasse

Sommaire

Pdf du Mensuel

Billet de la rédaction Séminaire epfcl à Paris – « La durée des analyses, ses raisons »
Lydie Grandet, « Il faut le temps »
Agnès Wilhelm, Les analyses qui ne durent pas

Journées nationales EPFCL-France « Le choix du sexe »
Nadine Cordova-Naïtali, Choix hystérique
Anne Lopez, Le choix du sexe… ?

La passe
Esther Morere Diderot, Où le passeur fait passer le désir
Laurence Rebout, Comment être lié sans être aliéné

Clinique de la psychose
Frédéric Pellion, « Au joint le plus intime du sentiment de la vie… »
Emmanuel de Cacqueray, Miroir, mon beau miroir…

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