Mensuel 077 Mars 2013

Billet de la rédaction 

Je laisse à Yves Bonnefoy le soin d’introduire ce billet, avec son « Prière d’insérer » qui figure dans un recueil de réflexions poétiques qui porte ce titre énigmatique : Le Digamma. « La disparition du digamma du sein de l’alphabet de la langue grecque ne fut probablement pas ce qu’un de mes personnages imagine, la cause de l’inadéquation ultérieure de la chose et de l’intellect dans les sociétés du monde occidental. Mais il se peut qu’elle ait retenu l’attention de l’adolescent qu’il avait été parce qu’elle fait penser à d’autres disparitions. Par exemple, dans les réseaux des significations conceptuelles, celle du savoir de la finitude. Une sorte de mauvais pli qui paraît alors entre l’existence et sa vêture verbale, une bosse sous la parole qui n’en finit pas de se déplacer sans se résorber dans les mots qui en seront à jamais fiction, en dépit des efforts – mais du fait des rêves – de ce que notre temps a dénommé l’écriture, cette attestation quelquefois de notre besoin de poésie (1). » Ce « mauvais pli », le dire de l’indicible, au coeur de la relation de la pensée de l’être et de la parole, situe le lieu du texte poétique pour Yves Bonnefoy, qui maintient ouverte, dans la pratique de l’écriture, la déconstruction du conceptuel. Quelque chose de l’existence peut vivre mais en échappant à l’emprise de l’instrument conceptuel, une manifestation d’une présence à la vie en un lieu et un instant, immédiateté qui ne relève pas d’un acte de connaissance, mais qui peut émerger grâce à « l’élaboration, dans la parole, d’un lieu où vivre, où trouver du sens à la vie (2) ». Une réalité plus authentique surgit dans l’écriture qui rompt la linéarité du discours et transporte le sujet dans un re-souvenir d’une situation de l’enfance où s’est manifestée une présence à la vie.

Cela fait résonner ce que Lacan a dégagé dans l’expérience analytique des irruptions de lalangue comme manifestations de l’inconscient réel où quelque chose de l’être de jouissance pourrait se saisir. S’il y a bien une subversion dans la psychanalyse avec Lacan, c’est celle d’un renouvellement de la question du savoir, qui n’est pas que recherche conceptuelle, mais expérience de parole inédite qui peut conduire aux confins de l’être mais pas sans ténacité, courage. Une jouissance irréductible est en cause dans le symptôme et cette fonction de jouissance est à mettre en connexion avec les débuts de la vie où s’avère une jouissance qui stigmatise la rencontre du réel du vivant avec lalangue de l’Autre. La question éthique se situe dans ce frayage que nous propose Lacan d’une orientation à partir du réel, condition pour que surgisse un savoir sans qu’aucun sujet le sache. Ce savoir qui ne se déduit pas, qui n’est pas produit par l’articulation discursive, qui ne se programme pas, qui relève de la contingence, comment en répondre, quelles conséquences en tirer ? Lacan en ce point précise qu’il ne fait pas un poème mais qu’il l’est, le poème, et qu’il s’écrit. C’est au déploiement de tous ces enjeux que le recueil du Mensuel fait écho, parions sur quelques bribes de réponse.

Wanda Dabrowski

1. Y. Bonnefoy, Le Digamma, Paris, Galilée, 2012.
2. Y. Bonnefoy, Le siècle où la parole a été victime, Paris, Mercure de France, 2010, p. 327.

Sommaire

Séminaire EPFCL à Paris 2012-2013 – Que peut-on savoir du savoir inconscient ? 
Jacques Adam, Là où Saussure et Freud attendent Lacan
Marie-José Latour, Quand le S danse avec le R et le I
Nicole Bousseyroux,Jouir du savoir
Marc Strauss, Savoirs inconscients Clinique
Colette Soler, La mère, majuscule

Forum à Tarbes – Réel, Imaginaire, Symbolique :nouages, embrouilles et savoir-faire 
Marie-José Latour, Nommer, nouer et le reste
Jerôme Game, Comment faire du reste avec de l’art ?
Sophie Pinot, Quel enui ce monde alendroi

Chronique
Claude Léger, Petits riens