Mensuel 068 Mars 2012

Billet de la rédaction

Duende

Une fois n’est pas coutume, le Mensuel ouvre ses pages en ce mois de mars à lalangue espagnole. On le verra, c’est sous une forme point indigne d’accompagner la publication des quatre premières contributions faites au séminaire École – qui s’est donné pour tâche cette année de réfléchir à ce qu’est une interprétation proprement analytique, soit « une interprétation qui tienne compte du réel ».

Lalangue espagnole donc est ici à l’honneur dans sa variante andalouse, celle que Federico Garcia Lorca a portée si haut, si loin. Si loin des terres dans lesquelles son oeuvre poétique, faite de poésie et de théâtre, est si profondément enracinée. Si loin des sources qui l’ont nourrie, façonnée.

Peut-on traduire lalangue ? N’est-ce pas, là encore, un métier impossible que celui de traducteur ? Cela n’empêche bien sûr pas qu’il y en ait qui s’y emploient avec bonheur. Poètes eux aussi, il faut croire, ils parviennent sans doute parfois à faire passer d’une langue à l’autre… Quoi ? Est-ce la parole qui passe d’une langue écrite à l’autre ? Est-ce de la parole ce qui s’écrit dans un poème et se traduit dans un autre ?

La poésie, dit-on avec raison, je crois, est faite pour être lue. À voix haute. Comme le théâtre, elle est faite pour être dite, portée et supportée par une voix. Les corps étant en présence. Elle est toujours adressée. Affaire collective. Car il n’y a pas de tour d’ivoire pour le poète, celui qu’on ne dira engagé que par redondance, puisqu’il n’y a de poète qu’engagé – comme l’analysant ! – dans son dire, et dans ce travail de lalangue dont il fait, lui, oeuvre écrite.

Lorca, le poète assassiné. Assassiné par les franquistes, par le franquisme. Comment ne pas interroger ce que la fin de Lorca doit à sa condition de poète ? On songe à ce que Lacan a pu dire de l’atopia de Socrate. Il ne se concevait pas en dehors de la cité, Socrate, mais il n’y avait pas dans la cité de place pour lui. Quoi d’étonnant si une action si vigoureuse qu’elle vibre encore et a pris sa place jusqu’à nous, quoi d’étonnant à ce qu’elle ait abouti à la peine de mort (1) ?

Socrate avait son daimon. Lorca avait le duende ou, pour mieux dire, du duende. Duende, c’est l’esprit qui hante certaines maisons, c’est aussi le lutin des bois, mais c’est principalement, dans le parler andalou, ce je-ne-sais-quoi d’ineffable qui habite certains parlêtres et colore d’une grâce particulière ce qu’ils disent et ce qu’ils font. Une touche du réel, peut-être.

S. A.

(1). Ce sont les mots de Lacan, bien sûr, dans la première leçon de son séminaire de l’année 1960-1961, sur Le transfert.

SOMMAIRE

Billet de la rédaction : Duende

Séminaire École 2011-2012 Une interprétation qui tienne compte du réel
–  Michel Bousseyroux, L’équivoque du réel
–  Albert Nguyên, Comptable du réel : ab-sens de l’interprétation
–  Patrick Barillot, Une interprétation qui tient compte du réel
–  Marc Strauss, Le ratage du psychanalyste

Federico Garcia Lorca Après-midi d’étude sur la féminité Portel-des-Corbières, 2 octobre 2010
–  Dominique Marin, Les amours de Perlimplin
–  Jean-Claude Coste, « Non, je ne veux pas le voir »
–  Sophie Rolland-Manas, D’Un éclat de safran ; d’Un soupir d’éventail

Chronique
–  Claude Léger, Petits riens. Grande cause nationale 2012