Mensuel 082 Novembre 2013

Billet de la rédaction

Pater semper incertus

Pater semper incertus

« Papaoutai »

« Dis-moi d’où il vient, enfin je saurai où je vais… »

C’est par ce clip qu’a commencé une séance avec un jeune
patient, chantant le refrain à tue-tête, m’invitant à le regarder avec
lui. Cet appel fait à la mère témoigne de la valeur accordée à sa
parole de désigner celui qu’elle authentifie comme père, instaurant
celui qu’elle reconnaît dans cette fonction et qui opère en tant que
signifiant. Lacan1 dans sa lettre à Jenny Aubry met en valeur cette
irréductible transmission d’un désir incarné, non anonyme, garant de
la constitution subjective du sujet.

Avec la métaphore paternelle, présent ou pas le père garde son
efficacité, car c’est le signifiant qui est en fonction. C’est ce que John
Irving2 met en scène avec son héroïne qui décide de devenir mère
sans s’encombrer d’un homme, en transmettant néanmoins à son fils
une image mythique de son père. Père idéal que le jeune Garp élèvera
en héros, point d’ancrage de ses identifications.

Ce père garant d’une identité, d’une filiation (filiations plurielles,
comme nous l’a présenté Jean-Pierre Rosenczveig3, défenseur
des droits de l’enfant à l’accès à sa filiation) est une assise identificatoire
pour l’enfant et un tenant lieu (comme la mère) des idéaux et
des déceptions, que l’on entend aisément dans les dits de l’analysant
incriminant un père ou une mère toujours trop ou pas assez, car toujours
défaillant(e).

Mater semper certissima, pater incertus. Le développement de la
science permet de répondre le contraire en affirmant avec certitude
l’identité du père biologique. Cependant, avec la psychanalyse, il ne
s’agit pas du père de la réalité (du géniteur – signifiant induisant la
dimension sexuelle -, ou du donneur biologique, anonyme ou pas)
mais du père réel, à savoir celui qui nous échappe. L’incertitude,
cette part d’inconnu, ce trou dans le savoir est de structure, d’où le
Che vuoi ? point central du graphe du désir.

Alors le mythe familial que l’enfant construit pour répondre à la
question de ce qu’il a été dans le désir de l’autre (ce « d’où vient-il ? »,
question à laquelle le chanteur répond que le savoir lui permettra de
s’orienter et de savoir où il va), on le sait, n’empêchera pas les impasses
du sujet, corrélat d’une rencontre toujours manquée avec l’impossible
du réel.

En attendant nos journées sur « Les pères au XXIe siècle4 » qui
animeront nos réflexions, je vous invite à la lecture des textes qui suivent,
témoins de l’élaboration de nos collègues, interrogeant la psychanalyse
dans sa praxis comme dans sa portée théorique.

Miyuki Oishi

SOMMAIRE

Billet de la rédaction

Après-midi de travail avec Colette Soler à Rennes
L’hystérie, hystorique

Échos du colloque Le psychanalyste et l’autiste

– [Marie Daisy Selin, « Prènon-croquemots »

– Sylvana Clastres, « Quand le sujet parle »
– Bernadette Diricq, « Psychanalyse et objet a :
qu’en est-il pour l’autisme ? » 

Forum à Tarbes
Réel, Imaginaire, Symbolique : nouages, embrouilles et savoir-faire 
– Marie-José Latour et Sophie Pinot, « À la mémoire de notre collègue Éric Eslinger »
– Nathalie Carrieu, « Souffler sur l’Artbraise »
– Nicole Rousseaux-Larralde, « À l’impossible est-on tenu ? »
– Marie Maurincomme, « Un déliR S un noeud ? »

Chronique éphémère sur les pères au XXIe siècle
– Brigitte Hatat,, « La trace d’une évaporation »
– Bernard Nominé, « Les pères aujourd’hui »
– Colette Sepel, « Les pères encombrants »

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