Mensuel 076 Février 2013

Billet de la rédaction

Saveur de la psychanalyse

« Nulle prétention de connaissance ne serait de mise ici, puisque nous ne savons pas même si l’inconscient a un être propre. […] En fait, l’inconscient “c’est pas ça”, ou bien “c’est ça, mais à la gomme”. Jamais aux p’tits oignons. » J. Lacan, « La méprise du sujet supposé savoir », 1967

Donc, l’inconscient n’est pas aux p’tits oignons et les textes que vous allez lire le montrent assez. L’inconscient, dans la cure, ne se mitonne pas à feu doux ni ne se mijote. Pas de chance de se l’accommoder à sa sauce avec ou sans p’tits oignons. Par contre, la psychanalyse peut nous faire goûter bien des saveurs. Voici, dans la convivialité, le menu de ce numéro du Mensuel.

Jean-Jacques Gorog, dans sa lecture lettrée du passage d’Encore étudié au séminaire à Paris, s’arrête, entre autres, sur cette phrase où Lacan dit que, atteindre au sérieux, au réel sérieux, « cela ne s’obtient qu’après un très long temps d’extraction, d’extraction hors du langage ». Le temps qu’il faut pour que du pot-au-feu du langage, cuit à point sur des charbons ardents, l’on puisse extraire l’os…

Les mots de lalangue qui font marques sur le corps sont mots de jouissance. Ils sont sucés, machouillés, avalés, régurgités, comme hors-d’oeuvre, hors-sens, « pure substance jouissante ». « Il s’ensuit que du savoir inconscient, on peut savoir un bout à condition de se laisser inspirer par la fonction poétique […] soit la fonction qui, pour Lacan, de faire s’unir étroitement le son et le sens, est la seule qui permettra l’interprétation analytique », comme le souligne Michel Bousseyroux, dans un texte d’une belle saveur.

Dans son intervention, Brigitte Hatat analyse, notamment, le livre de Marie Cardinal : Les Mots pour le dire. Analyse subtile oùBrigitte Hatat montre comment l’écrivaine a su trouver sa solution singulière à l’impossibilité du rapport sexuel. « C’est par stécriture, cette “géométrie du tissu, du fil et de la maille” qu’elle va s’employer à tirer les fils et à border, border le trou. C’est sa solution symptomatique : l’écriture. » Du cru de stembrouille, du cru de l’inconscient, de ce à quoi elle a cru, de son propre cru, Marie Cardinal a su faire broderie, borderie grâce à stécriture.

Sol Aparicio nous convoque au Banquet de Platon, où les mets sont mots sur l’amour. Elle nous montre que la place centrale occupée par le manque, l’agalma, l’objet a, cause du désir, est bien le ludion logique qui fonctionne entre analyste et analysant, aimé et aimant. Ce qui fait lien entre l’analyste et l’analysant est aussi le discours. Le lien analytique est ainsi fraternité du discours, au banquet des parlêtres.

« Le désir de l’analyste n’est pas un désir de comprendre ni d’enluminer le sens », nous dit Isabelle Genest… parce que alors ce serait cuit ! C’est plutôt du côté du cru que l’analyste a à viser et non pas de la cuisinerie – cette fausse gastronomie de l’apparence, de la décoration, des mille sens. Toucher au cru du patient, là où ça n’a plus de sens. Là où gîte sa jouissance. Pour cela, il faut faire coupure dans la jouis-sens des mots.

Lydie Grandet, dans son intervention, se demande ce qui l’a poussée à aller plus loin que la seule traversée du fantasme qui lui avait déjà permis le desserrement des symptômes. Continuer l’analyse pour découvrir « le sel de la vie » – sel qui fait ressortir le goût des aliments – ou ce qu’elle nomme « viviendo », la goûteuse vivance du vivant. Mais aussi, le sel que l’on savoure dans un Witz, ce qu’il y a de piquant, de vif, de léger dans l’échange avec l’autre, dans un événement de la vie ou dans une lecture. Elle termine son témoignage par un délicieux poème, « Sabor a legumbres » (Saveurs de légumes), à déguster avec finesse.

Et puis, vous lirez ces « Petits riens » de Claude Léger comme cerise sur le gâteau ou amuse-gueule pour ouvrir votre appétit.

À découvrir avec gourmandise. Françoise Lespinasse

Sommaire

Billet de la rédaction

Séminaire EPFCL à Paris 2012-2013 – Que peut-on savoir du savoir inconscient ?
Jean-Jacques Gorog, La question de l’arbitraire du signe
Michel Bousseyroux, L’à Jakobson de Lacan
Brigitte Hatat, Une géométrie du tissu, du fil et de la maille

De l’inconscient
Sol Aparicio, Transfert, lien et discours analytique
Isabelle Geneste, Qu’est-ce qui de l’inconscient s’interprète ?

La passe
Lydie Grandet, Ce qui insiste

Chronique
Claude Léger, Petits riens