Mensuel 011 – Décembre 2005

Introduction Radu Turcanu

Le numéro 11 du Mensuel offre à nouveau l’occasion de questionner la façon dont les analystes avec lesquels on partage le travail dans notre communauté pensent la psychanalyse. Autrement dit, de voir comment par l’interprétation et l’acte analytiques on opère dans les cures et, dans l’après-coup, on en rend compte. C’est sans doute cette double démarche qui est la plus à même de répondre à toute une actualité passionnée par l’évaluation et l’efficacité et qui prend d’assaut la psychanalyse.

En effet, si elle n’est pas censée rejoindre la science en tant que cette dernière est, sous ses formes radicales de savoir sur le réel, science-fiction ou fantasme (selon deux des dernières définitions données par Lacan à la science), la psychanalyse se doit de procurer une théorie de ce qu’elle promeut comme impact de l’acte analytique sur le sujet analysant et comme changement avéré à l’intérieur de la structure. Il s’agit de restituer comme théorie un dire non-attribuable à une pensée ; de rendre donc à la pensée ce dire a-modal de l’analyste, cette torsion-éclair des dits et modulations de l’analysant. C’est ainsi qu’on continue à fournir la matière première au débat actuel de la psychanalyse avec les autres discours.

Le regroupement de textes de ce numéro du Mensuel contribue à ce travail de penser la psychanalyse avec ses collègues analystes. Parmi les textes proposés ici on retrouve une reprise des interventions faites dans le cadre du Séminaire d’Ecole 2004-2005. Avec le concept d’après-coup, qui nous éclaire quant à la coupure ayant eu lieu entre la pensée fantasmatique d’un côté et le « ne pas penser » de l’autre côté, on resitue la dissymétrie nécessaire entre la position de l’analysant et la place de l’analyste (Sol Aparicio) . Dans le couple théorie / dire, la théorie est ce qui est opératoire dans la cure. « Il y a donc une différence de taille entre la théorie, un je pense la psychanalyse, même si elle met en évidence les butées du rapport au phallus, et le dire du psychanalyste qui en dévoile le semblant » (Jean Frédéric Bouchet).

Une contribution à propos de Simone Weil présentée dans le cadre du Séminaire du Champ lacanien retrace sa conception de l’amour divin et de la trinité, mais aussi de la mystique sous-jacente à cet amour, tout en rappelant la théorie lacanienne de la trinité dans son rapport avec la religion, la vraie, qui serait la religion catholique. (Jean-Claude Battarel)

Les quatre derniers textes, dont deux ont été présentés lors d’un après-midi des cartels, remettent sur le tapis la question de la psychose dans son rapport avec la psychanalyse et les psychanalystes. Ces textes nous rappellent, directement ou indirectement, que pour Lacan la psychose et les concepts qu’il forge pour en faire une nouvelle théorie permettent de lire d’une manière efficace la névrose. Cela va assez loin, dans le dialogue entre psychanalyse et sciences par exemple, pour mériter l’effort d’en faire la démonstration raisonnée.

Les phénomènes élémentaires occupent bien sûr une place privilégiée (Sandrine Orhand) – j’ajoute ici que l’hallucination est prise par Lacan, dans le Séminaire III, comme modèle pour les développements sur le point de capiton. Alors que la notion de stabilisation (dont traite Véronique Bordelet) nous met devant la difficulté et l’obligation de pouvoir distinguer, dans ce qui est généralisable comme ratage de la métaphore paternelle ou imposture du Nom-du-Père, entre psychose et névrose.

Le travail analytique avec les sujets psychotiques et le transfert qui y est impliqué, dont on questionne parfois la possibilité même, représentent le pivot d’un texte riche en exemples et en élaborations théoriques (Claire Harmand) . La dernière contribution de ce numéro vient illustrer, par une conclusion à retenir, la façon d’envisager la place de l’analyste dans le travail avec le sujet psychotique. L’auteur du texte (Michel Bousseyroux) reprend et affine la proposition qu’il a déjà avancée (« la subjectivité borroméenne reste accessible dans une famille de paranoïaques grâce à la fonction sinthome que peut y avoir un névrosé »), celle de revenir au remaniement lacanien de la théorie psychanalytique des psychoses et à son impact sur la direction de la cure.

SOMMAIRE

* Séminaire d’École 
« Ca ne va pas sans dire »
– Sol Aparicio : Vertus de l’après-coup
– Jean-Frédéric Bouchet : Ca ne va pas sans la topologie

* Séminaire du Champ lacanien 
– Jean-Claude Battarel : Un Dieu autre ? Une lecture de Simone Weil

* Extraits des après-midi des cartels 
– Sandrine Orhand : Variété clinique des phénomènes élémentaires de la psychose
– Véronique Bordelet : La stabilisation dans le Séminaire III, Les psychoses

* Autres travaux 
– Claire Harmand : Le transfert dans les psychoses
– Michel Bousseyroux : Le Nom-du-Père et la psychose dans l’enseignement de Lacan