Ouverture
Où il s’agit de tenter de retrouver l’impossible : la présence pleine d’origine, boucher le trou… or le désir ne s’engendre que de cette perte originelle.
Elle [la mort], […] est cette affirmation désespérée de la vie qui est la forme la plus pure où nous reconnaissions l’instinct de mort[1].
Je vous propose au regard de notre thème des prochaines journées – les 23 et 24 novembre à Toulouse – de faire un tour du côté de la littérature ; Raymond Queneau, Le Dimanche de la vie, et Henri de Montherlant, Les Célibataires en seront le fil.
S’agit-il de la pulsion de mort ? Ou bien de ce que nous appelons le côté mortel de l’être sexué, comme conséquence de la soustraction de l’objet a, donnant accès à la parole ? Ou bien encore… L’homme ne se veut pas du bien, nous dit Freud, il peut être même, à l’occasion, le meurtrier de lui-même.
Le dimanche de la vie nivelle tout et éloigne ce qui est mauvais, nous indique Hegel dans son Esthétique, celui de Queneau ne nous dit pas autre chose, sur un ton plus burlesque, voire mélancolique, où Valentin Brû « dort debout », tente de capter les heures qui passent, où, contemplatif et flou, il semble flotter au gré du vent de ses rencontres. Tout se vaut, et donc rien ne vaut ; rien n’a d’importance. Il ne lui reste que « la vacuité du temps ». Il l’incarne, « écrasé par le poids des mots et des images ». Ne plus penser à rien ou bien toujours à la même chose : « Ça élève l’âme. » Valentin veut atteindre un certain degré d’abnégation et pour ce faire s’attache à faire les tâches les plus « emmerdantes », « prétextant de son inutilité complète, afin de ne pas se mettre en valeur ». Mais le hic, c’est qu’il y prend plaisir, à ces corvées, donc pas de mérite, et il pense alors « n’avoir même pas fait un pas vers la sanctification [2]». Désaffectation totale exigée !
Lacan dans Encore fait critique de l’absolu qui fait de nous des abrutis : « C’est dit-manche – le dimanche de la vie, comme dit Queneau, non sans du même coup en révéler l’être d’abrutissement[3]. » Le manche c’est parole. Mieux vaut rien que l’insatisfaction du désir, son éternisation. « Rappelons-nous ici la dérision d’un tel savoir (absolu) qu’a pu forger l’humour d’un Queneau, […], soit son “dimanche de la vie”, ou l’avènement du fainéant et du vaurien, montrant dans une paresse absolue le savoir propre à satisfaire l’animal[4] ? » C’est le règne du ne rien faire, du néant. D’un sujet qui se dérobe à son désir, se remparant derrière sa médiocrité. Il est plutôt question ici de jouissance absolue.
Partons du côté de Montherlant et son récit Les Célibataires[5] qui nous emporte en 1934, dans la vie pitoyable de laisser-aller de deux vieux célibataires aristocrates, des cousins, qui à la mort de la mère de l’un deux, qui subvenait à leurs besoins pauvrement, se retrouvent dans un dénuement total, conscients, mais s’abandonnant à leur sort, à leur misère affective et financière inexorablement. Ils ne font strictement rien, se mettent hors jeu du désir, de l’existence, de la vie. Ils attendent que quelque chose se passe sans qu’ils ne fassent rien. Ils jouent sur le pire : ne plus être responsable, ne plus vouloir.
« […] M. de Coantré aurait pu très bien avoir une vie normale, digne, et satisfaite ; il eût suffi qu’il consentît au petit effort de tenir sa place ; ce qu’il payait aujourd’hui, c’était peu de chose et c’était tout : c’était de s’être négligé, c’était ce que nous appellerons, en un français douteux mais qui se fait comprendre, la boule de neige de la non contrainte ; mères, prenez-en de la graine pour vos fils[6]. » Exil du monde, et de la rencontre sexuée ou non, avec l’autre.
Et l’on ne s’étonnera pas du suicide de Montherlant le 21 septembre 1972 (sa naissance et sa mort), le jour de l’équinoxe de septembre : « Quand le jour est égal à la nuit, que le oui est égal au non, qu’il est indifférent que le oui ou le non l’emporte[7]. » Un Montherlant qui s’est gardé de l’Autre sexe, un vrai célibataire.
Le désir ici est suspendu, figé, dans une fixité inébranlable pour le sujet ; il n’y est pas, il s’est absenté. Comme une mort attendue. Le sujet, si je peux dire, « dé-suis ». Attend-il un quelqu’un qui le réveille et l’enraîne ? Comme ce que l’on nomme « le café suspendu », offert à l’inconnu(e), qui attend celui ou celle qui viendra le boire et ainsi l’intégrer à la communauté du monde des vivants « apparolés » ?
À découvrir dans ce Mensuel, un texte inédit de Colette Soler en date de février 2002, prononcé à Rennes, qui, suivant pas à pas les élaborations de Lacan, nous fait apercevoir, finement articulé, comment de la pulsion de mort, on passe à l’instance de la mort, à l’instinct de mort – soient les prémices – pour arriver à la vie : déclarer son existence !
Josée Mattei
Ouverture
Séminaire École
J. Lacan, D’un discours qui ne serait pas du semblant Séance du 17 février 1971
- p. 7 J. Lacan
- p. 8-12 Topos-logis Christelle Suc
- p. 13-22 Lacan sinéphile. Réponse à un chinoiseur Michel Bousseyroux
Le certain du sexe
Trouble$
- p. 40-51 Aphanisis (2/2). L’aphanisis selon Lacan Vanessa Brassier
- p. 52-56 Le trait lunaire David Frank Allen
Journées nationales de l’EPFCL
Bruit et fureur de la pulsion de mort
Toulouse, 23 et 24 novembre 2024
- p. 58-70 Pulsion de mort reconvertie Colette Soler
- p. 71-82 Guerre, paix et pulsion de mort Bernard Nominé
Préludes
Entre-champs
Brèves
- p. 90-91 Une option éthique, À propos de la réédition de La Psychanalyse, pas la pensée unique Zehra Eryörük
- p. 92-93 Réflexions à propos de la réédition de La Psychanalyse, pas la pensée unique Laurence Mazza-Poutet
- p. 94-95 Psychanalyse, temps zéro, À propos d’Un silence pour appui, Anacrouse de l’analyste, de Michel Bousseyroux Dominique Touchon Fingermann
Fragments
Notes de bas de page
↑1 | J. Lacan, « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 320. |
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↑2 | R. Queneau, Le Dimanche de la vie, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1952, p. 160, 174, 228 et 233. |
↑3 | J. Lacan, Le Séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Le Seuil, 1975, p. 96-97. |
↑4 | J. Lacan, « La méprise du sujet supposé savoir », dans Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 331. |
↑5 | H. de Montherlant, Les Célibataires (1934), Paris, Gallimard, 1961. |
↑6 | Ibid., p. 193. |
↑7 | H. de Montherlant, « Équinoxe de septembre », dans Essais, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1963, p. 806. |