Billet de la rédaction

 

Lors d’une présentation clinique dernièrement à Timisoara, une patiente faisait référence à un récent événement traumatique de sa vie : « Il s’agit d’un réel trop grand pour mes pensées. » Une autre fois, à la même clinique de psychiatrie, un homme m’expliquait, en colère, que je ne pouvais pas comprendre ce qui lui était arrivé parce que j’étais dans « un monde parallèle », et que d’ailleurs on aurait dû me retirer « un tiers du salaire ». Avènement (je m’empare du signifiant de l’année, qui garde encore des surprises) de jouissance qui ne recouvre pas ici une mais La vérité pour le sujet. Vérité devant laquelle nous sommes invités à prendre une position plutôt humble, alors même que nous sommes aussi censés faire valoir auprès du sujet que c’est l’empreinte du signifiant sur le corps qui est condition de la jouissance, comme l’affirme Lacan. Ce qui nous permettra par la suite de décompléter sans désubjectiver cette certitude concernant la vérité.

À l’époque où le déclin du père est, à juste titre, sur toutes les lèvres et où est mise à nu son utilité uniquement comme fonction d’exception, quand s’instaure le règne de l’exception généralisée, c’est devenu aussi de bon ton, même chez les psychanalystes, de rappeler, si par insouciance on l’aurait oublié, que la psychanalyse pourrait ne pas durer, qu’elle serait entrée dans une forme de déclin qui est en train d’assombrir lourdement son avenir. Même pas illusion, la psychanalyse.

Freud et Lacan avaient déjà évoqué à plusieurs occasions les inévitables phénomènes de fermeture de l’inconscient, de refoulement de son réel ainsi que de dégradation du tranchant de la théorie : échec ou disparition annoncés d’emblée, inscrits dans le « code génétique » de la psychanalyse depuis son invention par Freud. Bonnes nouvelles pour les générations qui osent encore s’y intéresser.

Pourtant, ce n’est pas le seul enseignement que nous pouvons tirer de ces énoncés lucides et logiques de Freud et de Lacan. Il y a aussi dans leur manière d’exercer et de transmettre la psychanalyse une invitation à appliquer la formule du déclin à la figure même du psychanalyste, non seulement celui des caricatures qu’en font une bonne partie de nos concitoyens, mais aussi celui qui vivote en vase clos et se contente de recycler les formulations des maîtres, celui au narcissisme gonflé et à l’assurance statutaire pour qui cette pratique inouïe peut être servie et consommée à toutes les sauces, comme une forme quelconque du plus-de-jouir contemporain.

De plus, il faut souligner le fait qu’en pleine époque où l’oubli du tranchant freudien avait commencé, du vivant de Freud déjà, rien ne présageait de la fulgurance avec laquelle Lacan y a réintroduit de la fraîcheur et du sérieux, de l’imaginaire et du réel dans un symbolique figé et appauvrissant qui procédait de la lecture tronquée de Freud par la plupart de ses successeurs.

C’est par une persévérance devant les adversités de toujours, renouvelée en permanence, ainsi que par la mise au travail de ce manque nommé désir – au-delà de l’espoir dont Lacan affirme quelque part qu’il tue (le désir), même s’il a produit aussi d’autres énoncés à ce sujet –, que la psychanalyse risque de perdurer. Fidèle lecteur de Dante, comme Freud d’ailleurs qui trouvait que la psychanalyse était une peste pour l’être humain et que l’inconscient était cette chose infernale qui faisait fuir l’âme, Lacan a effectué une inédite sublimation d’une pratique tombée dans la misère épistémique dans les années 50 du siècle dernier, son prétendu âge d’or aux États-Unis. Il l’a recalibrée pour qu’elle puisse parler à ses contemporains, qui évidemment n’étaient plus ceux de Freud.

Devant les forces « infernales » que la psychanalyse freudienne a libé-rées, nous ne pouvons donc qu’endosser, en tant qu’analyste, le lasciate ogni speranza de la La divine comédie, celui qui donne accès à l’humilité et à l’endurance comme meilleures réponses de l’analyste aux défis de son temps. Il n’y a pourtant aucune garantie que cela produise même de saints-hommes, ni qu’on puisse toujours éviter une transmutation en canaille. Mais il sera plutôt de bon augure de se dire que le psychanalyste aura toujours énormément à apprendre de son temps et surtout de ses patients, de ses analysants.

Les articles qui paraissent régulièrement dans le Mensuel témoignent de cette invitation à l’intranquillité et au questionnement récurent pour le psychanalyste.

Ainsi, nous avons dans ce numéro du Mensuel des textes remarquables de nos collègues qui font état du moment actuel de notre école de psychanalyse et de son Internationale des Forums. L’année en cours s’annonce riche en événements, de la Rencontre de l’École et du Rendez-vous de l’IF à Barcelone, en septembre, aux Journées nationales de l’École à Paris, en novembre – mais aussi la future création d’une zone 8 de l’Internationale qui regroupera des forums qui jusqu’à présent étaient rattachés à d’autres zones.

Le fonctionnement de notre école est également remanié cette année, avec la création d’un Conseil de direction, dont le directeur et le bureau viennent d’être élus, qui va travailler côte à côte avec un Conseil d’orientation qui change, lui aussi, de formule et de composition.

Accueillons donc ces nouvelles donnes et échéances, y compris dans leur contingence et leur côté inattendu qui risque certainement de s’y manifester.

Radu Turcanu

Pdf du Mensuel

Sommaire

Billet de la rédaction

Séminaire EPFCL à Paris
« L’inconscient c’est la politique »

Séminaire Champ lacanien à Paris
« La voie éthique de la psychanalyse »

Journées nationales EPFCL, 24-25 novembre 2018, Paris
« Les symptômes de l’inconscient »
Pré/textes de la commission scientifique

Journées nationales EPFCL 2017 à Toulouse
« Le devoir d’interpréter »
Activités préparatoires

 

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