Mensuel 155 – Décembre 2021

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Ouverture

Il ne fait jamais nuit…
« Peindre, peindre,
toujours peindre, encore peindre le mieux possible,
le vide et le plein
le léger et le dense
Le vivant et le souffle1 »

Passent,

Le temps et les saisons, décembre sonne à la porte et ferme doucement le livre de l’année 2021… mais pas celui du Mensuel, qui poursuit sa tâche de présenter les questions et élaborations singulières de notre communauté analytique. « Petit Livre rouge » de notre Champ lacanien, il se présente comme lieu de passage, espace d’émergences, « intervalle2 » où penser la psychanalyse, en respectant les différences de chaque-un qui y passe, qui y livre sa lecture et son écriture « en mouvement3 », est possible… et doit être préservé.

L’année se clôt avec la poursuite du travail, mais aussi, malheureusement, avec la persistance de « ce qui nous est tombé dessus » depuis de longs mois, la pandémie et ses avatars, ses excès discursifs et ses peurs, à la fois menace réelle – qui nous renvoie à notre nature de mortels – et menace fantasmée – qui nous amène à considérer notre semblable comme un propagateur de cette menace. La flambée des différents discours à son propos vient bien illustrer cette dualité, ce paradoxe du fantasme, entre ce qu’il véhicule d’imaginaire et ce qu’il recouvre et révèle de réel. Car au bout du compte (conte ?), il y a bien de la perte réelle, la mort.

La crise sanitaire, « ça-ni-taire », pour reprendre l’expression de Louis-Marie Tinthoin4 – qu’y a-t-il à taire et qu’y a-t-il à dire – ne cesse pas de déployer cet affrontement des discours ambiants qui n’ont d’égal que leurs crispations, discours qui gravitent entre certitude et doute, entre explications et persuasions, entre rigueur et répression, entre arguments dialectiques et fixité délirante, rien qui n’évoque un mouvement, un passage.

Aujourd’hui, en suivant Jean-Pierre Drapier lors de sa présentation du séminaire du Champ lacanien « Ce qui nous tombe dessus5 », nous pourrions envisager que, de ce qui ne cesse pas de tomber, nous en arrivions à ce qui passe… par les signifiants.

Passe, au féminin comme au masculin, voilà un signifiant qui a du corps et de la polysémie ! Au féminin : chenal étroit entre deux rives ; col de montagne à franchir ; gestuelle habile du prestidigitateur pour nous illusion- ner entre deux « réalités » ; mise à la roulette pour un gain improbable ; donner le ballon au partenaire dans les jeux sportifs ; lorsqu’elle est «d’armes», elle peut s’entendre comme un échange vif d’arguments contradictoires entre deux interlocuteurs, dialectique ; service rapide des prostituées et le gain qui s’en déduit. Au masculin : le mot de passe, en tant que formule convenue pour se faire reconnaître et passer librement ; le passe-partout comme clé qui ouvre tout ; laissez-passer, en tant que permis, autorisation de passage ; aujourd’hui le passe sanitaire remplit cet office, assorti d’une obligation de santé. Sans compter les locutions : être en passe de… sur le point de… dire ou faire ou accéder à quelque chose d’autre ; être dans une bonne ou mauvaise passe qui marque une période, un moment passager… J’en passe et des meilleures… !

L’idée-force de ce signifiant « passe » ramène toujours au mouvement, au déplacement d’un lieu à l’autre, d’un état à un autre, d’un bord à un autre, d’un espace à un autre… N’est-ce pas cette force signifiante que l’on retrouve dans la passe proposée par Lacan, qui amène un analysant à témoigner de ce qui se passe et passe dans l’expérience de la cure ? Parcours qui nous amène de l’impuissance à l’impossible, de la traversée du fantasme à l’avènement d’un dire qui épuise le sens, aux confins d’un réel modifiant les modalités de jouissance, pour produire un « savoir y faire avec son symptôme ». Témoignage de quelque chose qui du réel a fait avènement.

L’artiste, qui toujours « précède le psychanalyste […] et lui fraie la voie6 », a lui aussi son dire de la passe au réel. Zao Wou-Ki, peintre français, né chinois, « l’homme du double rivage » comme se plaisait à le nommer François Cheng, offre dans son œuvre un nouage singulier entre l’abstraction de l’Occident et la tradition de l’Orient. Chantre du vide et du plein, de l’ombre et de la lumière, sa peinture se fait écriture. De La Traversée des apparences (de 1956) à Il ne fait jamais nuit (de 2005), Zao Wou-Ki veut « donner à voir l’espace du dedans7 », ce qui ne se voit pas et qui l’habite, passage entre le vide et le plein. Espace qui résonne avec une autre écriture, S-passe, dans lequel l’être du sujet surgit. Espace du dedans, S-passe comme l’extime du parlêtre.

Espace vide dont zao wou-ki nous dit qu’il n’est pas trou mais souffle de vie ! le vide est le souffle.

Isabelle Boudin
Aix-en-Provence

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Sommaire

Ouverture

Séminaire École
« J. Lacan, Télévision, Questions VI »

D’un pôle à l’autre

Et entre-temps…

Brèves

Fragments

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