Billet de la rédaction

Es-poir ?

Ces derniers temps, des temps « particuliers » mais « collectifs », si j’ose dire, depuis le 14 mars dernier, je me suis demandé ce que j’allais pouvoir écrire ici pour la mi-avril.

Silence. Rétentissant pour moi, reposant aussi. Nécessaire parfois pour l’écrit. Les maîtres d’école le savent depuis longtemps, les élèves s’en souviennent. L’écoute peut y avoir une place possible, dans ce silence. Écoute du bruit des stylos et crayons sur les feuilles qui ne restent pas blanches. Écoute des uns, des autres. Écoute de l’élève qui se demande : « écrire, mais quoi et comment ? »

Et enfin le moment de conclure, annoncé par le bruit inoubliable de la clochette qui annonce la récré – on pose le stylo, les crayons de couleur, et son sac. Le maître d’école ramasse. Les élèves partent, anxieux ou pas, contents ou pas, mais soulagés car la récré est là. Et en 2020, une récré après une classe sonnera, un jour d’automne au parfum de marronnier et feuilles toutes déguisées en carnaval automnal. Enfin, j’espère. Et « Zoom » nous sera toujours utile, mais « optionnel » : un plus, gagné pour un moins, en pleine perte, puisqu’il s’avère que malgré tout, qui perd, gagne. Parfois trop. D’où la nécessité de la psychanalyse.

Alors, d’abord et avant tout, je vous invite à lire les écrits de Jean-Claude Coste, Christophe Charles, Irène Tu Ton, Marie-José Latour, Bernard Lapinalie, Jean-Jacques Gorog, Bernard Nominé et Bruno Geneste, auteurs des textes qui figurent dans ce numéro de notre Mensuel, numéro particulier de par le moment où la rédaction doit en conclure l’édition.

Oui, il me semble que c’est une chance pour notre communauté de travail qu’ils y soient, ces textes, au sommaire de ce numéro, et que la parution même de ce cent quarante-deuxième Mensuel est une preuve, parmi d’autres, actuellement, que le cadre soit là et qu’il y soit toujours, notamment lorsque « ça vacille » au point où même la planète se met à « trembler » par-ci, par-là, surprenant, peut-être, un instant seulement, le discours du capitaliste.

Il m’a semblé que Jean-Luc Vallet, par l’éditorial qu’il a écrit dans le numéro précédent, d’avril, nous a invités à prendre de la hauteur et de la distance, face aux « distances barrières », dirais-je. En mai, voici mon tour venu.

Décidément, en ce ténébreux et non moins printanier début 2020, l’ACAP-CL (Association des centres d’accueil psychanalytique du Champ lacanien ) ne parvient plus à se cacher, arbre dans la forêt EPFCL. Néanmoins, ce « poumon » de la « planète » psychanalyse qu’est l’EPFCL permet facilement que tel ou tel arbre, fleur, mousse ou arbuste de ses effectifs pousse, se déploie, participe, en somme, à la ronde des discours, à condition de ne pas perdre le Nord : l’éthique dans la clinique.

Vaste programme. L’avantage que nous avons est celui que Lacan nous a enseigné : le retour modeste aux mathématiques, et donc à nos souvenirs d’enfance, au passage. Ainsi, nous savons que dans ce type de « forêt » il s’agit d’un déploiement asymptotique, et si animal il y a, il s’y retrouve, dans la jungle. Comme il peut s’y perdre aussi. C’est selon.

Dans le travail théorique, bien sûr, la modestie. Mais dans le travail clinque aussi ? Pourtant c’est un signifiant qui ouvre les vannes du fleuve qui coule dans le lit de centaines de pages de l’œuvre de Freud, de Lacan et d’autres psychanalystes.

Pas de modestie du côté de l’analyste, sans écoute, sans l’Autre, ni sans barre, dans l’œil propre, je pense. Dali et Buñuel nous l’ont, eux aussi, enseigné, en contribuant aux bases non seulement du surréalisme, mais aussi de ce qui devrait s’appeler « le huitième art », lequel, intrépide, industrieux et si créatif, a volé la vedette – c’est le cas de le dire – au septième art, à savoir, si j’ose l’écrire : la photographie.

Je pense que la photographie, par ce qu’elle est, renvoie à la mort, un peu plus directement même que « Les ambassadeurs » de Hans Holbein le Jeune, et toutes les anamorphoses, donc pas si étonnant que l’on ait vite, vite choisi le cinéma salvateur, quitte à prendre le train en marche, appareil photographique à la main, comme Michelangelo Antonioni nous l’a plusieurs fois dé-montré.

Et la boussole, à ne pas perdre non plus, sur le « navire » psychanalyse : le désir ?

Les textes psychanalytiques dont nous disposons, et parmi lesquels je choisis de vous en rappeler un, au moyen d’une courte citation, attirent notre attention sur le poids de la pulsion et donc de la répétition.

« Alles, was die Kulturentwicklung fördert, arbeitet auch gegen den Krieg.
Ich grüsse Sie herzlich und bitte Sie um Verzeihung, wenn meine Ausführungen Sie enttäuscht haben 1 ».

« Tout ce qui promeut le développement de la culture, travaille aussi contre la guerre.
Je vous salue chaleureusement et vous demande pardon, si mes propos vous auront déçu ».

Probablement, tant qu’il y a polis, il ne peut pas ne pas y avoir de politique. La logique le veut. Celle du langage, non ?

Alors, la politique de la psychanalyse, peut-elle cesser, tant que sujet(s) il y a ?

Enfants, on jouait parfois à imaginer – on s’en vantait même, quelquefois – ce que nous allions faire plus tard.

Devenus grands, il ne nous est pas interdit d’être encore petits et d’oser imaginer modestement et pour jouer, en ces temps légèrement « suspendus », ce qu’aurait fait des grands de l’Histoire, s’ils avaient vécu aujourd’hui.

Ainsi, dans ce retour ludique donc plaisant, du passé vers le futur, afin d’éclairer l’instant présent, Lacan, aujourd’hui, je le crois, prendrait son téléphone, vérifierait même les fonctionnalités de sa tablette, puisqu’il ne reculerait toujours pas, ni devant la névrose, ni devant la psychose, tout en se rappelant de quelques-uns, très nombreux, à propos desquels Freud avait évoqué la perversion et qui ont la double peine : structure psychotique et défenses perverses. J’imagine les heures s’écoulant dans la salle d’attente virtuelle de Jacques Lacan.

Bon. Nous sommes autrement plus « débutants assumés » à l’ACAP-CL, et surtout dans les CAP (centres d’accueil psychanalytique) – qui persistent, et signent. Non sans l’aide actuelle de nombreux parmi vous, psychanalystes membres de l’EPFCL, qui nous avez fait savoir que vous vous portiez volontaires pour répondre, au cas où. L’après-coup nous en dira des nouvelles.

Et Freud, alors ? Ah, déjà, j’imagine qu’il aurait parlé anglais, mais aussi allemand et français, lors des entretiens décidément téléphoniques, et sans écran aucun, et sans fumée, peut-être. Ce fameux divan, il l’aurait dépoussiéré non sans sollicitude médicale, serment d’Hippocrate oblige.

Les deux, auraient-ils été aussi réquisitionnés dans les hôpitaux publics, pour aider leurs confrères ? Qui sait ?

« Et pourtant, elle tourne », répétait Galilée, chuchotant peut-être à la vue des instruments de torture, puisque cela ne servait plus à rien de le répéter. Intelligent, il s’est adapté, et il est resté dans nos souvenirs et dans ceux de Brecht.

Plus téméraire, je vais conclure en vous invitant aussi, comme Jean-Luc Vallet l’a fait avant moi, à vous tourner, en ces temps qui « mangent leurs enfants », vers les arts, sans lesquels je ne vois pas comment psychanalyse il y aurait.

Ma proposition va aujourd’hui du côté d’un compositeur, dont Emil Cioran disait qu’avec lui nous éprouvons le regret du paradis : J. S. Bach. Et d’un autre, plus récent : W. A. Mozart, dont toujours Cioran disait qu’avec lui, nous sommes au paradis. Enfin, je modérerais le propos, avec un « si possible ». Et pourquoi pas Claude Debussy ?

Un réalisateur aussi : Andrei Tarkovski. Lacan a peut-être évoqué quelques films de ses films… J’ai une préférence pour Andrei Roubliov, que je n’arrive toujours pas vraiment à comprendre, d’où le plaisir aussi.

Ah ! Déjà huit et demi ? Oh, amarcord…
Je vous aurais peut-être confié un haïku franco-roumain.
Mais qui sait, peut-être n’est-ce que partie remise.
« E la nave va » …

Bonne lecture !

P.S. Qui se charge de ne pas re-fermer la boîte de Pandore ?

Mihaela Lazarov

Pdf du Mensuel

Sommaire

Billet de la rédaction

Séminaires EPFCL à Paris
« Encore »

« Actualité de la névrose »

Entrée des artistes

Journées nationales EPFCL-France
30 novembre – 1er décembre 2019
« Amour et haine »

Billet d’humeur

Brève

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