Mensuel 107 – Juin 2016

Billet de la rédaction

La psychanalyse est ce qui ne cesse pas de mettre en mouvement. S’il en fallait encore une preuve, le Mensuel, au-delà de nous l’apporter, nous permet d’en faire l’expérience, dans l’après-coup et dans une relance du désir d’ouvrir le savoir. Le don d’ubiquité nous faisant défaut pour profiter de toutes les offres de partage de travail – de l’École, dans les pôles –, les textes de ce numéro nous offrent à nouveau des séances de rattrapage.

Certaines questions, laissées trop longtemps de côté au risque qu’on ne voie plus la brillance de leur pertinence, ont besoin d’être débarbouillées. Le séminaire École a continué de s’y employer en interrogeant ce qu’est un analysant, avec en avril les interventions de Rosa Guitart-Pont et Luis Izcovich.

La première, grâce à une trouvaille particulièrement parlante (je résiste à ne pas vous la dévoiler pour vous la laisser découvrir), débute son travail avec une formule qui concentre le parcours d’une analyse en quatre étapes, représentables par quatre interjections. Pas de cure type toutefois, et c’est ce qui l’amène à interroger les conditions pour qu’un sujet devienne analysant, mais aussi pour qu’il le reste. Entre le début et la fin d’une cure, pas de long fleuve tranquille mais des ponctuations qui peuvent permettre de poursuivre ou qui feront suspension…

Luis Izcovich interroge également les conditions du devenir analysant qui en passe par l’acte de l’analyste. Les exigences sont à poser du côté de l’analysant tout autant que de l’analyste pour que, d’« un analyste » avec qui il a pris rendez-vous, le sujet en vienne à dire « mon analyste ». Autrement dit, l’analyste devient quelqu’un, soit s’excepte, ce qui suppose de n’en pas rester à ce qu’il appelle la dimension imaginaire-symbolique du transfert, mais d’en passer par le fait du réel. Le samedi 9 avril, le Conseil d’orientation de l’EPFCL-France et les membres français du Collège international de la garantie avaient invité Camila Vidal et Pedro Pablo Arévalo, analystes de l’École, sur le thème : « ”Le désir de psychanalyse”… de l’analyste ».

La psychanalyse est parfois comparée à la religion et ce fut le cas dans l’expérience de Camila Vidal, qui rappelle de façon particulièrement claire ce qui, entre autres, les différencie : la cure analytique a une fin. Dit comme cela, ce pourrait être une lapalissade. Oui, bien sûr, nous le savons. Mais ne l’oublions-nous pas tant parfois nous pouvons être pris dans le mouvement d’une cure qui dure ou dans celui des séminaires, journées et autres activités des collèges qui se succèdent ? Elle-même, alors que l’on peut supposer qu’elle devait en savoir quelque chose, en fut surprise. Intéressant, non ? C’est à partir de cette fin qu’elle interroge le désir de psychanalyse.

Pedro Pablo Arévalo nous a proposé une intervention où se mélangent le personnel – où l’on voit comment le travail d’une cure opère aussi en dehors des séances, et pourquoi pas au cours d’une randonnée en montagne, donc n’hésitons pas à profiter de ce qui nous entoure au-delà de nos bibliothèques – et le théorique. Il déplace entre autres la question posée de manière inattendue, indiquant ce qui pour lui est devenu acte plus que geste : comment ne pas avoir en fait un fort désir de psychanalyse ? Ce désir, il peut s’avancer, faire mouvement bien sûr dans mais aussi hors de l’École – c’est sa proposition –, soit dans le monde qui nous entoure.

Dans ce monde justement, le témoignage de celles et ceux qui ont vécu des situations extrêmes de déshumanisation a été le point de départ d’une journée d’étude – « Témoin, pas sans l’Autre ? » – organisée par le pôle 9 à Rennes le 27 février, à partir de deux expériences singulières : celle de Rithy Panh, rescapé de la terreur des Khmers rouges au Cambodge entre 1975 et 1979, et celle de Marceline Loridan-Ivens, survivante de Birkenau.

L’un et l’autre, cinéastes et documentaristes, ont choisi l’image et les mots, signifiants intimement solidaires, pour dire, pour un acte-dire selon une hypothèse proposée par Jean-Michel Arzur. Pas sans l’Autre donc. Et il est remarquable que, pour au moins deux de leurs œuvres, leur travail est étroitement lié à un autre. C’est :

– L’Image manquante pour Rithy Panh (2013), film majeur dans son travail cinématographique. Trente-cinq ans après sa sortie des camps, il prend la parole pour dire son histoire dans l’histoire en s’appuyant sur un écrivain, Christophe Bataille ;

– Et tu n’es pas revenu (Grasset, 2015) pour Marceline Loridan-Ivens, livre publié soixante-dix ans après sa libération de ce qui fut pour elle aussi un enfer, écrit avec l’appui de Judith Perrignon, journaliste et écrivain.

Tous les deux sont confrontés à une part d’oubli, question que développe entre autres Charlotte Goupille-Favre, et ne peuvent faire sans l’Autre pour mettre au jour ce qui est dans la nuit.

Le témoignage révèle bien souvent l’impossible à dire, avec parfois un destin dramatique, mais il peut aussi avoir une portée vitale : Un-possible, propose Alexandre Faure.

Du témoignage, c’est d’une part ce qu’il est-vise-dit-manque, d’autre part l’offre d’une écoute qu’il suppose, mais aussi ce qu’il révèle de la langue, la langue du témoin que développe Marie-Laure Choquet.

Parmi les livres qui se sont ajoutés aux rayons des libraires ces derniers mois, deux ont retenu l’attention de collègues. 2084, le dernier roman de Boualem Sansal, a beaucoup fait parler de lui. Après 1984 de Georges Orwell, il fallait oser. C’est ce qu’il imagine d’une société totalitaire et qui se rapproche de notre actualité qui en fait l’intérêt. Laurence Mazza-Poutet nous en propose sa lecture et repère en quoi il intéresse les psychanalystes.

En quoi Gérard Depardieu, connu généralement pour d’autres raisons que celles qui nous préoccupent habituellement, les intéresse-t-il tout autant ? Colette Sepel, lectrice, ça s’est fait comme ça, de Ça s’est fait comme ça, nous invite à découvrir comment il témoigne de son rapport à la langue et de ses effets dans sa vie.

Bonne lecture.

Philippe Madet

Sommaire

Pdf du Mensuel

Billet de la rédaction

Séminaire EPFCL à Paris 
« Qu’est-ce qu’un analysant ? »

Rosa Guitart-Pont, Trois mots sur le trajet analytique… 
Luis Izcovich, Devenir analysant

Après-midi d’école 
« “Le désir de psychanalyse”… de l’analyste »

Camila Vidal, Désir de psychanalyse… du psychanalyste 
Pedro Pablo Arévalo, Désir de psychanalyse d’un analyste

Journée d’étude 
« Témoin, pas sans l’Autre ? »

Jean-Michel Arzur, Qu’ils parlent ! 
Charlotte Goupille-Favre, L’inconscient tatoué, la lettre en héritage 
Alexandre Faure, Un-possible témoignage ? 
Marie-Laure Choquet, La langue du témoin

Lecture

Laurence Mazza-Poutet, à propos de 2084, La Fin du monde, de Boualem Sansal 
Colette Sepel, à propos de Ça s’est fait comme ça, par Gérard Depardieu

 

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