Mensuel 096 – Avril 2015

Billet de la rédaction

« D’où vous vient par ailleurs l’assurance de prophétiser la montée du racisme ? Et pourquoi diable le dire ?
– Parce que ça ne me paraît pas drôle, et que pourtant, c’est vrai
1

Pas drôles, en effet, les titres de presse de ce lundi 9 mars :
Manuel Valls annonce sa peur que son pays se « fracasse » contre le fn, « aux portes du pouvoir » pour 2017.

Dans le Kurdistan syrien, des combattants des Unités de protection du peuple, qui ont fait fuir les djihadistes de l’État islamique (EI), témoignent, effarés par leurs adversaires, certains combattant le Coran autour du cou. Au Nigéria, les armées tchadienne et nigérienne lancent une grande offensive contre les islamistes de Boko Haram, au lendemain de « l’allégeance » du groupe au mouvement djihadiste de l’EI.

Karim al-Banna, lui, attend en Égypte un verdict d’appel. Il risque une condamnation de trois ans de prison pour « insulte aux religions », comme nombre d’autres Égyptiens récemment, pour avoir exposé son athéisme sur Facebook.

Pas un jour sans annonce d’un nouveau sacrifice aux dieux obscurs. Pas un écran qui ne relaie le risque de succomber à la « monstrueuse capture ». C’est pourtant sur le petit écran, soutenant l’éthique d’y supposer des analystes à l’entendre, que Lacan anticipait en 1974 notre actuelle généralisation du pousse-au-crime :

« Dans l’égarement de notre jouissance, il n’y a que l’Autre qui la situe, mais c’est en tant que nous en sommes séparés. D’où les fantasmes, inédits quand on ne se mêlait pas.
Laisser cet Autre à son mode de jouissance, c’est ce qui ne se pourrait qu’à ne pas lui imposer le nôtre, à ne pas le tenir pour un sous-developpé.
S’y ajoutant la précarité de notre mode, qui désormais ne se situe plus que du plus-de-jouir, qui même ne s’énonce plus autrement, comment espérer que se poursuive l’humanitairerie de commande dont s’habillaient nos exactions ? Dieu, à en reprendre de la force, finirait-il par ex-sister, ça ne présage rien de meilleur qu’un retour de son passé funeste
2. »

Nous y sommes… à vrai dire depuis un certain temps déjà. Les hommes tombent de nouveau, plus ou moins proches, pour incroyance, insulte aux religions, blasphème.

Notre communauté se fonde sur une expérience, d’où elle tire un savoir, celui d’être faite, ce n’est pas le moindre de ses paradoxes, d’« épars désassortis ». En cela il lui revient de dire encore la possibilité de se tenir et d’élaborer ensemble. Dire la possibilité de ne pas céder à l’horreur de savoir irréductible ce désassortiment des jouissances. Dire contre Sade, et même, ici, contre Freud, notre proximité avec notre propre méchanceté, assez pour accepter d’y rencontrer notre prochain. Nous le li(e)rons dans ce numéro d’avril.

Jean-Louis Soyer articule jouissance, démocratie et éthique de la psychanalyse dans la rubrique « Considérations actuelles ». Il y développe l’enjeu par lequel psychanalyse et démocratie voisinent : le traitement du réel de l’hainamoration. Scandale de la vérité de notre propre jouissance, de laquelle le recours au bien, loin de nous être d’aucune aide, nous tient éloigné. L’ignorance, l’indifférence, le détournement du regard sont, rappelle-t-il, les responsabilités pointées par Lacan, pour qui ne veut pas reculer devant l’amour de son prochain.

Claude Léger et Sylvianne Cordonnier, dans la rubrique « RIP », pointent chacun avec son angle cette responsabilité chez le clinicien. Ils dressent l’état des lieux de la passion de l’ignorance du symptôme chez les associations d’usagers du dsm notamment, pour rappeler qu’en face de la volonté de déstigmatisation, d’effacement des traces du sujet, existe encore la possibilité de choisir d’assumer le symptôme. La responsabilité s’étendant ici aussi à ce qui, de nous, nous est le plus étranger, vécu comme séparé, autre. Irréductibilité de la responsabilité qui ouvre sur un autre type de lien.

Pascale Leray reprend la question de cette horreur de savoir, du point de vue qui intéresse plus strictement le psychanalyste dans son lien à l’École de Lacan. Pas d’autre affect, rappelle-t-elle, chez Lacan, rapportable au savoir que l’horreur. Façon on ne peut plus tranchante de poser les enjeux de ladite École. Point de désir de savoir, nulle part, mais passion de l’ignorance. Alors quel inédit attendre de la passe ? Transmettre, formule Pascale Leray, comment ce qui était en cause dans l’horreur de savoir est venu à se transmuer en cause d’un désir de savoir.

Enfin, Sol Aparicio reprend la question de la thérapeutique et reformule que le symptôme est « question en souffrance que le sujet incarne ». Ce dont, alors, l’analyste est responsable, c’est d’une opération de conversion éthique radicale, celle qui introduit le sujet à l’ordre du désir. Elle propose un nouage inédit, entre pratique analytique, désir et éthique.

En post-scriptum, Lucile Cognard rappelle qu’un film de cinéma peut être équivalent d’un dire, et qu’il y a alors à soutenir la possibilité qu’il se fasse entendre. Il s’agit de Post partum, le beau film de notre collègue membre des Forums, Delphine Noels, avec qui un débat est prévu ce 9 avril à Paris.

Bonne lecture.

Jérôme Vammalle

Sommaire

Pdf du Mensuel

Billet de la rédaction Considérations actuelles
Jean-Louis Soyer, Jouissance, démocratie et éthique de la psychanalyse

RIP, Réseau institution et psychanalyse
Claude Léger, Les temps postmodernes
Sylvianne Cordonnier, Une « entière responsabilité »

La passe
Pascale Leray, La passe au désir de savoir

Autre texte
Sol Aparicio, Une thérapeutique pas comme les autres

Cinéma
Lucile Cognard, Post partum, un film de Delphine Noels

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